Une expérience à écouter : le Centre Pompidou met le son à l’honneur
Il n’y a pas que nos yeux qui méritent d’être sollicités dans un musée. Le Centre Pompidou l’a bien compris en inaugurant une nouvelle installation sonore immersive qui explore toutes les manières dont les sons façonnent notre perception du monde. Un projet singulier, intellectuellement stimulant, mais aussi intensément sensoriel. À découvrir absolument pour qui cherche une pause urbaine originale, loin des images saturées du quotidien.
La salle 35, repensée pour vibrer
Ce n’est pas dans une galerie habituelle que l’installation prend place, mais au cœur de la salle 35 — espace d’expérimentation sonore et visuelle situé dans les collections contemporaines du Centre. Ce lieu, régulièrement métamorphosé, accueille cette fois une œuvre immersive conçue comme un paysage auditif évolutif, où le son, sculpté en temps réel, devient matière vivante.
Au programme : des haut-parleurs spatialisés, des basses fréquences qui font vibrer le sol, des nappes électroniques qui s’étirent dans l’espace, et parfois le murmure d’une voix humaine qui vient troubler ce concert abstrait. L’appareillage technique est impressionnant, pensé pour faire circuler le son autour du visiteur selon des trajectoires aléatoires — comme si l’installation respirait en direct avec nous.
Une signature artistique forte : Jana Winderen à l’affiche
Derrière cette installation, on retrouve l’artiste norvégienne Jana Winderen, figure majeure de l’art sonore contemporain. Biologiste de formation, elle enregistre depuis plus de dix ans les sons inaudibles de la nature : les fréquences subaquatiques, les cris d’animaux en voie de disparition, les vibrations des glaciers… Sa démarche artistique fusionne science, écologie et poésie brute.
Pour le Centre Pompidou, elle a imaginé une pièce inédite, intitulée Listening Through the Dead Zones. Ce travail évoque les “zones mortes” océaniques, où l’oxygène se fait rare en raison de la pollution. Ce n’est pas un commentaire écologique dans le sens classique — c’est un voyage sensoriel où la crise environnementale se ressent, littéralement, dans les creux, les silences et les frictions du son.
L’acoustique devient ici politique. Comment entendre ce que la planète tente de nous dire quand elle suffoque ? Winderen propose une réponse non pas verbale, mais viscérale. Et cela fonctionne. Une fois installé·e dans la pénombre de la salle, on se sent happé·e par cette matière sonore qui rend audible l’invisible.
Installation ou méditation ?
Chaque visiteur vit cette expérience à sa façon. Certains restent debout, déambulant lentement entre les haut-parleurs pour mieux saisir les nuances. D’autres s’assoient, ferment les yeux, se laissent porter. Le centre a même installé quelques coussins sur le sol — initiative à saluer pour encourager des formes nouvelles d’écoute dans un musée habituel.
La sensation est proche de celle d’une méditation collective : on ne regarde rien, on écoute. Mais on ressent. Les sons deviennent presque tactiles, enveloppants, parfois inquiétants, parfois consolants. On sort de là un peu transformé·e, comme si les bruits du monde étaient passés par un filtre invisible avant de nous revenir dans une forme réinventée.
Une programmation autour de l’écoute
À ne pas manquer : plusieurs événements sont programmés en parallèle de cette installation. Parmi eux :
- Des rencontres avec Jana Winderen, pour mieux comprendre sa démarche scientifique et artistique.
- Des ateliers d’écologie sonore pour tous publics — parfait pour les familles curieuses ou les flâneurs en quête de nouvelles formes de conscience environnementale.
- Des sessions d’écoute nocturnes organisées deux fois par mois, où la salle 35 devient un cocon sensoriel ouvert jusqu’à 22h.
Toutes ces initiatives font partie du nouveau programme du Centre Pompidou consacré à l’acoustique contemporaine. Après les expositions sur le design sonore ou les installations de Ryoji Ikeda, cette orientation semble s’ancrer durablement dans leur programmation, pour notre plus grand bonheur d’urbains saturés de bruits parasites.
Informations pratiques
L’œuvre Listening Through the Dead Zones est accessible jusqu’au 5 janvier 2025. L’entrée est comprise dans le billet pour les collections permanentes du musée.
- Où : Centre Pompidou, entrée rue Saint-Merri (4e)
- Accès : Métro Rambuteau (ligne 11) ou Hôtel de Ville (lignes 1 et 11)
- Horaires : Tous les jours sauf mardi, de 11h à 21h
- Tarifs : 15€ plein tarif / 12€ tarif réduit / Gratuit pour les -26 ans résidents UE
Astuce : préférez les fins de journée pour une expérience plus intimiste, surtout en semaine. Le lieu, sombre, se prête particulièrement bien à une écoute en fin de parcours, comme un dernier souffle avant de ressortir dans la frénésie du Marais voisin.
Pourquoi c’est une installation qui compte
Ce n’est pas tous les jours que le Centre Pompidou met le son au premier plan. Dans un monde saturé d’images, cette approche inversée est salutaire. Elle redonne au sens de l’écoute ses lettres de noblesse, et rappelle que l’art peut aussi passer par l’oreille.
C’est aussi un signal fort : en confiant les rênes à une artiste engagée comme Jana Winderen, le centre s’inscrit dans une réflexion plus large sur notre rapport à l’environnement, aux non-humains, et à ce que nous sommes collectivement en train de perdre. Le tout, sans discours moralisateur — seulement des fréquences, des silences, des respirations. Une manière concrète de faire parler le monde autrement.
Alors, la prochaine fois que vous passez par Beaubourg, faites un détour par la salle 35. Laissez vos écouteurs dans votre poche. Le plus beau son, en ce moment, c’est peut-être celui que vous n’attendez pas.