Paris n’en finit pas de réveiller les consciences. Cette fois, direction le Forum des images, niché en plein cœur des Halles, pour un cycle de projections qui fait mouche : « Cinéma en luttes ». Une programmation dense, stimulante, qui met en lumière les combats sociaux et politiques à travers le regard affûté de cinéastes engagés. Jusqu’au 30 juin, le rendez-vous est donné à celles et ceux qui veulent penser, débattre… et s’émouvoir. Car ici, pas de leçon de morale, juste des récits puissants qui interrogent notre époque.
Le cinéma comme manifeste
Depuis sa création, le Forum des images a toujours su capter les pulsations du monde. Avec le cycle « Cinéma en luttes », la salle parisienne invite à revisiter l’histoire des mouvements sociaux à travers l’objectif de réalisateurs qui croisent l’art et l’engagement. En toile de fond : les manifestations, les lignes de piquet, les colères populaires, mais aussi les espoirs, les solidarités et les utopies collectives.
Ce cycle n’est pas une compilation nostalgique de films militants. Il trace un arc narratif qui part de Mai 68 pour rejoindre les préoccupations contemporaines : violences policières, luttes féministes, justice sociale, crise climatique. Loin de tout didactisme poussiéreux, la programmation joue sur les formats – court-métrage, documentaire, fiction – et les époques, pour faire dialoguer passé et présent.
Un programme qui bouscule
La variété des films proposés est à l’image de la complexité des causes défendues. On y croise des œuvres rares, des classiques du cinéma engagé, et des pépites récentes, souvent peu diffusées.
- « Reprise » (1997) de Hervé Le Roux : Porte d’entrée magistrale dans le cycle, ce documentaire de trois heures retrace, vingt ans après, la reprise du travail à l’usine Wonder après Mai 68. Un chef-d’œuvre d’archive et d’humanité.
- « Merci Patron ! » (2016) de François Ruffin : Le film culte qui a redonné au documentaire politique une force comique tranchante. Un David picard face au Goliath du CAC 40.
- « Debout les femmes ! » (2021) de Gilles Perret et François Ruffin : La suite logique, qui donne la parole aux travailleuses de l’ombre : aides à domicile, femmes de ménage, invisibles mais essentielles.
- « La Commune (Paris, 1871) » (2000) de Peter Watkins : Œuvre fleuve (plus de 5h) reconstituant la Commune avec des acteurs amateurs dans une mise en scène percutante. Une expérience cinématographique autant qu’un cours d’histoire critique.
Chaque projection est suivie d’une rencontre, d’une table ronde ou d’un débat. Sociologues, historiens, activistes, cinéastes… viennent prolonger l’expérience et ouvrir la discussion. Une façon de sortir de la salle avec plus de questions qu’en y entrant – et c’est tant mieux.
Des regards venus d’ailleurs
Le Forum ne se contente pas de se pencher sur l’hexagone. Le cycle accueille également des œuvres internationales, porteuses d’autres combats, d’autres urgences. On y découvre, notamment :
- « The Battle of Chile » (1975) de Patricio Guzmán : Chronique haletante de la chute du gouvernement d’Allende, filmée de l’intérieur. Un modèle de rigueur journalistique et d’émotion brute.
- « One Sings, the Other Doesn’t » (1977) d’Agnès Varda : Hymne féministe tout en douceur et en couleurs, porté par la complicité de deux femmes décidées à reprendre leur destin en main.
- « Sorry We Missed You » (2019) de Ken Loach : Immersion dans la vie d’un couple broyé par l’ubérisation du travail. Sans pathos, mais avec une acuité sociale imparable.
Les conflits, les oppressions et les colères changent de visage, mais les ressorts de la résistance sont universels. C’est ce que rappelle brillamment cette sélection, construite avec une réelle exigence éditoriale.
Pourquoi ce cycle tombe à pic
Dans un climat où les mobilisations sociales s’intensifient en France, ce cycle résonne comme un miroir tendu à l’actualité. Inflation galopante, épuisement du personnel soignant, crise du logement, dérives sécuritaires… Il y a comme une urgence à remettre le débat sur le terrain des images. Car le cinéma, plus que jamais, s’impose comme un champ de bataille symbolique.
Avec ces projections, on ne regarde pas seulement le monde : on l’interroge, on le secoue, on rêve d’un autre. Le Forum des images s’impose ici comme un agitateurs d’idées, dans un Paris parfois anesthésié par le divertissement de masse.
À ne pas manquer : les temps forts
Au milieu de cette programmation copieuse, quelques dates méritent d’être cochées sur son agenda :
- Samedi 8 juin à 18h : Projection de « Reprise », suivie d’un échange avec l’équipe du film et des anciens salariés de Wonder. Un moment rare et chargé d’émotion.
- Jeudi 13 juin à 20h : Soirée spéciale « Luttes féminines » avec plusieurs courts-métrages inédits, en présence de leurs réalisatrices.
- Dimanche 23 juin à 17h : Projection de « The Battle of Chile » (premier volet), précédée d’une introduction par le chercheur Franck Gaudichaud, spécialiste de l’Amérique latine insoumise.
Le site du Forum actualise aussi une grille hebdomadaire de projections surprise. Une raison de plus pour revenir régulièrement, et se laisser surprendre au fil des rencontres.
Infos pratiques
Adresse : Forum des images, 2 rue du Cinéma, Forum des Halles, 75001 Paris
Métro : Châtelet – Les Halles (lignes 1, 4, 7, 11, 14, RER A/B/D)
Dates : Jusqu’au 30 juin 2024
Tarifs : Entrée à 6 €, tarif réduit 4 €, pass illimité mensuel à 25 €
Réservation conseillée sur forumdesimages.fr
Petit plus appréciable : une buvette sympa à la sortie pour prolonger les échanges autour d’un verre (et accessoirement calmer l’estomac après 3 heures de militantisme cinématographique).
Quand la pellicule rallume l’étincelle
Ce cycle est une bouffée d’air dans un paysage culturel souvent frileux dès qu’il s’agit de politique. Face à un monde qui grince, ces films engagés ne proposent pas des solutions toutes faites, mais nous invitent à réfléchir ensemble. À questionner nos certitudes, à écouter ceux qu’on n’entend jamais, à voir le réel avec les yeux de l’autre.
Et si le vrai pouvoir du cinéma était là ? Non pas dans l’évasion pure, mais dans la capacité à réveiller les consciences, une salle après l’autre. La révolution n’a peut-être pas été télévisée, mais elle pourrait bien commencer dans le noir d’une salle obscure des Halles.