Un palais coloré en plein cœur de Bastille
Longtemps niché au 46-48 rue du Faubourg Saint-Antoine, en plein cœur du quartier Bastille, le Barrio Latino fut plus qu’un simple bar ou club : c’était un monument de la nuit parisienne, une destination à part entière pour toute une génération de fêtards, danseurs et noctambules. Dans un Paris friand de lieux hybrides et d’ambiances métissées, le Barrio a su imposer, pendant plus de quinze ans, une esthétique et un esprit festif singuliers, empreints de chaleur latine et de grandeur théâtrale.
Installé dans un ancien hôtel particulier fin XIXe, le lieu s’imposait d’abord par sa démesure : quatre étages, un escalier monumental central, une décoration foisonnante inspirée de Cuba et de l’Amérique du Sud, des balcons filants, des jeux de lumière luxuriants… On ne venait pas au Barrio Latino simplement pour boire un verre, on y entrait comme on entre dans un autre monde, vibrant, exubérant, dansant.
Une institution signée Grupo Costes
Derrière ce projet hors normes, on retrouve le très influent Groupe Costes, déjà à l’origine d’adresses parisiennes emblématiques comme le Café Ruc ou le Georges au Centre Pompidou. En 2003, les frères Costes frappaient fort avec ce temple du festif latino, le transformant en destination incontournable du week-end parisien. Le Barrio a alors connu plus d’une décennie de soirées endiablées, entre salsa, reggaeton, cocktails tropicaux et DJ sets très calibrés.
Ce qui faisait la singularité du lieu : sa capacité à conjuguer clubbing, restauration, et performance musicale dans un même espace. Un soir au Barrio, c’était un dîner sur fond de musique live, suivi d’un concert improvisé au premier étage, puis d’une montée progressive vers la mezzanine où la salsa s’enflammait jusqu’à l’aube. Aucun circuit figé, mais un esprit de déambulation festive. Et toujours : une clientèle bigarrée, intergénérationnelle, qui venait autant pour danser que pour observer.
Cocktails, ceviche et désirs d’ailleurs
Côté assiette, le Barrio jouait également la carte latino jusqu’au bout. Ceviches citronnés, tacos relevés, guacamole au mortier : la cuisine du lieu se voulait savoureuse, festive, à partager. Rien de gastronomique, mais une proposition cohérente, pensée pour accompagner une soirée qui commence devant une assiette, mais ne finit jamais à table. Même logique pour les cocktails : du mojito généreusement mentholé au pisco sour acidulé, en passant par des créations maison souvent sucrées, toujours efficaces.
Le lieu cultivait avec soin cette atmosphère d’ailleurs : les teintes rougeoyantes, les ventilateurs au plafond, les miroirs vieillis et banquettes en cuir texturé convoquaient une idée romantisée de l’Amérique du Sud, entre club cubain old-school et fantasme de telenovela sensorielle. C’était parfois kitsch, souvent too much, mais avec justesse — un équilibre que peu d’établissements parisiens parvenaient à maintenir aussi longtemps.
Rendez-vous des Parisiens et des touristes noctambules
Lieu de rendez-vous pour les enterrements de vie de jeune fille, les anniversaires de trente (ou cinquante) ans ou les afterworks à rallonge, le Barrio Latino avait cette rare capacité de fédérer des publics très différents. Touristes en goguette et Parisiens de souche s’y côtoyaient avec naturel, réunis par une même envie : celle de prolonger la nuit dans un cadre dépaysant, rythmé et accueillant.
On s’y donnait rendez-vous sans hésiter. « On va au Barrio ? » était une question qui n’avait pas besoin de planification. On savait ce qu’on allait y trouver : de la chaleur humaine, une ambiance survoltée, des rythmes latins et surtout, un espace à la géométrie libre, qui permettait à chacun de vivre « sa » soirée.
Un final vibrant avant la mue
Le Barrio Latino a fermé ses portes en 2017 pour laisser place à une nouvelle entité : le Pachamama. Ce « rebranding », toujours aux mains du Groupe Costes, conserve l’inspiration latino-américaine mais opte pour une identité plus néo-bohème, plus végétale, plus « instagrammable » pourrait-on dire. Moins clinquant, plus contemporain.
La transition, si elle a pu désarçonner quelques nostalgiques, marque aussi l’évolution d’une époque. Dans un Paris nocturne en pleine mutation, où les établissements hybrides redoublent d’inventivité pour séduire un public volatile, le Pachamama tente de réinventer l’héritage du Barrio avec un twist moderne. L’escalier est resté, les palmiers aussi. Mais la scénographie a changé, la carte a gagné en sophistication, et les playlists laissent davantage de place aux sons électro-chic qu’à la salsa débridée.
Souvenirs d’un Paris qui savait faire la fête
Parmi les anecdotes qui reviennent quand on parle du Barrio Latino : cette soirée salsa où une centaine de danseurs professionnels avaient investi le parquet sous la mezzanine, ou ce DJ colombien, venu mixer pour la première fois à Paris, qui avait prolongé son set jusque 5h du matin, porté par une foule littéralement en sueur. Il y avait aussi ces soirs d’été où les grandes fenêtres laissaient passer l’air tiède de la rue du Faubourg, et où les balcons bruissaient de conversations en espagnol, en portugais, en français bien sûr… mais toujours teintées d’exubérance.
Ce que l’on retient surtout, c’est ce sentiment d’évasion totale, rare à Paris. Pas besoin de passeport, pas besoin de plan : au Barrio, on venait, on entrait, on se laissait porter par la programmation musicale et la hiérarchie invisible des espaces. On pouvait rester toute la soirée au RDC entre mojitos et tapas, bifurquer vers l’étage pour danser, redescendre par hasard sur un live brésilien… Le lieu fonctionnait comme un organisme vivant, en perpétuelle mutation.
Pourquoi ce lieu reste dans les mémoires
Faire la fête à Paris, ce n’est pas simplement se retrouver dans un lieu avec un bon sound system. C’est vivre une expérience. Et de ce point de vue, le Barrio Latino a réussi ce que peu de clubs parisiens ont su maintenir sur la durée : créer un univers à part entière, authentique, accessible, codé sans être excluant, festif sans être futile.
Il y avait une générosité liturgique au cœur du projet. Tout, depuis la déco jusqu’à l’acoustique en passant par les tenues du personnel, créait une immersion. Et cela, même les clients les plus blasés — habitués du Silencio, du Faust ou du Wanderlust — ne pouvaient le nier. Le Barrio parlait à tout le monde, mais ne ressemblait à personne.
Et aujourd’hui ? Une nostalgie active
Le souvenir du Barrio Latino n’est pas que nostalgique, il demeure actif dans la mémoire collective de la nuit parisienne. De nombreuses soirées à thème actuelles s’en inspirent, reprenant l’idée d’un lieu total, festif, coloré, où la musique guide le mouvement. Des partenaires DJ l’évoquent encore comme « l’endroit où ils ont appris à lire une salle », certaines écoles de danse organisent même des flashmobs « latinas » en hommage au lieu.
Le Pachamama, qui a repris le flambeau, continue à s’inscrire dans cette lignée — même si l’âme du Barrio, pour certains, reste inégalée. C’est le signe qu’un club peut marquer une époque. Dans un Paris parfois frileux en matière d’audace nocturne, le Barrio Latino fut un phare — exubérant, généreux, et fièrement hors format.
Infos pratiques pour les nostalgiques (ou les curieux)
- Lieu actuel : Pachamama Paris – 46-48 Rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris
- Transports : Métro Bastille (lignes 1, 5, 8) ou Ledru-Rollin
- Horaires : Ouvert les vendredis et samedis dès 19h (selon programmation)
- Site officiel : pachamama.paris
- Tarifs : Entrée souvent gratuite avant 22h, puis sur sélection à l’entrée – cocktails à partir de 12€
Envie de retrouver un bout de l’esprit Barrio ? Passez la porte du Pachamama un vendredi soir, tendez l’oreille… et laissez-vous, peut-être, emporter par une voix latine, une montée de congas ou un refrain en espagnol. Certains lieux continuent de vibrer, même quand leur nom change.