Il souffle comme un vent de fierté et d’audace sur le mobilier contemporain : la foire du design, qui investit Paris cette semaine, décide de braquer les projecteurs sur les créateurs français. Une initiative bienvenue dans un contexte où la scène hexagonale, bien qu’historique et prolifique, reste souvent éclipsée par les noms scandinaves ou italiens. Pendant quelques jours, galeries, designers et éditeurs exposent le meilleur — parfois le plus insolite — du design « made in France », en rendant hommage aussi bien aux légendes du siècle dernier qu’aux talents émergents. Un rendez-vous pensé pour ceux qui veulent comprendre, acheter ou, tout simplement, admirer.
Un hommage à la française, aux lignes subtiles et aux idées fortes
Parce que le design à la française n’est pas qu’affaire de lignes épurées ou de mobilier minimaliste, cette édition fait le pari de la diversité. L’esprit d’un Charlotte Perriand ou d’un Pierre Paulin souffle encore, c’est sûr, mais les organisateurs ont aussi voulu mettre en lumière la relève : les pièces sculpturales en résine d’Éléonore Nalet, les luminaires poétiques de Ronan et Erwan Bouroullec, ou encore les assises audacieuses de Margaux Keller. Pas de nostalgie ici — plutôt une célébration d’un mouvement qui ne cesse d’évoluer.
« Trop longtemps, on a considéré que le design français manquait de radicalité », confie Julie Allemand, curatrice indépendante et commissaire de l’exposition centrale. « Cette foire montre justement l’inverse : les designers français expérimentent sans cesse, sur les matériaux, les usages, les formes. Leur force, c’est peut-être leur singularité silencieuse. »
Où aller, quoi voir ? Petit guide express pour visiteurs pressés
La foire se déploie sur plusieurs lieux emblématiques de la capitale. Voici les haltes à ne pas manquer :
- Le Grand Palais Éphémère – Le cœur vibrant de la foire. C’est ici que vous trouverez la sélection officielle, construite autour du thème « Héritage et perspectives ». Les pièces iconiques côtoient des expérimentations contemporaines, dans un dialogue visuel aussi malin que passionnant.
- Galerie kreo (rue Dauphine, 6e) – L’incontournable de la scène design parisienne. Cette année, elle expose exclusivement des pièces de designers français édités au cours des vingt dernières années. Une belle occasion de voir ou revoir en vrai le fameux fauteuil « Rocher » de François Bauchet.
- La Cité de la Mode et du Design – S’y tient une exposition dédiée aux pratiques durables en design français. Économie circulaire, circuits courts, matériaux biosourcés : une approche résolument tournée vers l’avenir.
- Le Pavillon de l’Arsenal – En marge de la programmation officielle, cet espace présente une installation immersive de l’artiste-designer matali crasset, entre utopie domestique et manifeste écologique.
Besoin d’un moment de pause ? Plusieurs cafés « design-friendly » partenaires proposent des boissons et snacks dans des décors signés par les designers exposés. Mention spéciale au corner imaginé par India Mahdavi : couleurs pop, fauteuils moelleux, et viennoiseries impeccables.
L’esprit français : entre artisanat d’art et innovation technologique
Impossible de parler du design français sans évoquer son dualisme fondateur : un ancrage artisanal fort, combiné à une volonté d’innover sans perdre l’élégance. Dans cette foire, cela se traduit par des rencontres inattendues entre mobilier et technologies. Sur le stand de la jeune marque Studio Legrand Jäger, par exemple, les luminaires en porcelaine de Limoges intègrent des capteurs de lumière intelligents. À l’inverse, certains créateurs jouent la carte du retour aux sources, à l’instar de Thomas Serruys, dont les tables basses en chêne brut sont issues d’une production autonome et locale dans le Limousin.
Le design français, c’est aussi celui qui ose détourner les objets du quotidien. Le duo Normal Studio présente par exemple une série de meubles inspirés des outils de la construction : une table basse-établi, un porte-manteau échafaudage, ou encore un bar réalisé à partir de casiers industriels recyclés. Une dimension conceptuelle, sans jamais sacrifier la fonction.
Petite histoire, grands noms : une filiation assumée
Difficile de parler création française sans évoquer ses figures tutélaires. Cette édition leur rend hommage avec un parcours dédié à travers l’exposition « Héritiers et défricheurs ». Un focus particulier est accordé à Pierre Chareau, dont le travail avant-gardiste trouve aujourd’hui un écho puissant dans le design modulable et multifonctionnel contemporain. Un bureau, une cloison, une lampe… chez Chareau, chaque élément a été pensé dans une logique d’adaptabilité extrême, bien avant l’heure du télétravail.
Même esprit chez Inga Sempé, qui présente une nouvelle série d’objets « nomades » inspirée de la mobilité urbaine contemporaine. « En ville, on vit compact, rapide, adaptatif. Il fallait que les objets suivent ce mode de vie », explique-t-elle à l’ouverture de la foire. Résultat : un tabouret-étagère pliable, une lampe que l’on accroche comme un sac, et une sellette à roulettes au look délicieusement rétro-futuriste.
Infos pratiques : ce qu’il faut savoir
La foire est ouverte au public du 14 au 18 juin 2024. Les professionnels peuvent accéder à une preview dès le 13 juin, sur invitation uniquement. L’entrée générale se fait par le Grand Palais Éphémère (Plateau Joffre, 7e), avec des expositions satellites réparties dans une dizaine d’adresses partenaires à travers Paris.
- Horaires : tous les jours de 11h à 20h, nocturne jusqu’à 22h le samedi.
- Tarif plein : 18 euros — réduit à 10 euros pour les étudiants, les demandeurs d’emploi et les détenteurs du Pass Navigo.
- Billetterie : en ligne sur le site officiel (foiredudesign-paris.fr) ou sur place.
Un pass combiné permet aussi l’accès à plusieurs lieux en une seule formule, idéal pour les visiteurs pressés ou les familles désireuses de découvrir sans stress. Prévoyez malgré tout de bonnes chaussures : entre le Marais, Saint-Germain et la rive gauche, vos pas risquent d’être bien sollicités.
Pourquoi ça compte ?
Dans une époque où l’attention se fait rare et la consommation d’objets plus réfléchie, cette foire rend visibles des créateurs qui pensent autrement. Leur design est peut-être discret, mais il raconte des histoires, des savoir-faire oubliés, des modes de vie en mutation. À travers cette édition entièrement consacrée à la scène française, ce n’est pas seulement une esthétique qu’on redécouvre, mais tout un pan de créativité locale, à la fois enracinée et ouverte sur le monde.
Que vous soyez collectionneur, designer en herbe ou simplement amateur de belles choses, cette semaine est l’occasion rêvée d’explorer un pan souvent sous-estimé du patrimoine contemporain. Et qui sait ? Vous repartirez peut-être avec une lampe, un carnet d’adresses… ou des idées plein la tête. Parce qu’à Paris, le design n’est jamais très loin de la vie.